C’est parce que ses vins nous avaient impressionnés lors de dégustations dans des salons professionnels et particuliers que nous avons décidé de partir à la rencontre de ce vigneron, passionné et passionnant. Rendez-vous fut donc pris en cette fin du mois d’avril 2022. Et c’est à Marçon, petite commune située dans la Sarthe, que Sébastien Cornille nous a reçus, au Domaine de La Roche Bleue, installé au pied de ses caves troglodytes.
Ce fils de commerçants, originaire du Berry, a posé ses valises ici en 2007, dans une région dont il est réellement tombé amoureux. Il est vrai que les paysages offerts par ce territoire se montrent d’une diversité et d’une harmonie apaisantes, alternant de manière équilibrée entre prairies, forêts et bocages, loin des paysages plats et monotones que peuvent parfois engendrer les monocultures dans certaines régions.
Particulièrement exigeant dans sa recherche de qualité de raisins, Sébastien Cornille attache un intérêt tout particulier au travail du sol, de la vigne et de son environnement immédiat. Pour observer tout ça sur le terrain, direction les vignes du “Clos des Molières”, accompagnés de Smooky, le fidèle compagnon de Sébastien. Cette parcelle située sur un coteaux en AOP Jasnières, donnant son nom à une cuvée emblématique du domaine, est l’illustration parfaite de cet écosystème vertueux auquel le vigneron tient tant et qu’il essaye de renforcer un peu plus chaque jour.
Plutôt que de chercher à augmenter à tout prix les rendements en y multipliant les plantations, Sébastien Cornille préfère conserver des bandes de terrain pour y planter des haies d’arbustes locaux, conserver les arbres présents ou les vieilles souches, véritables hôtels à insectes, qui serviront de nourriture aux chauve-souris installées plus haut.
C’est notamment cette approche globale axée sur la biodiversité qui lui permet de façonner des vins d’une grande finesse et d’une fluidité exemplaire, aussi bien sur les blancs de chenin que sur les rouges de pineau d’Aunis.
Le Magazine des Vins de Loire : Comment est né le domaine ?
Sébastien Cornille : C’est l’histoire d’une bande de copains… Après un BTS viticulture-œnologie et un passage chez des vignerons de Sancerre, je suis parti sur l’île de La Réunion où j’ai passé trois ans à travailler à l’implantation d’un vignoble. Puis j’ai eu envie de revenir ici en métropole et trois amis cavistes de la Réunion m’ont dit : “plutôt que tu sois juste chef de culture ou gestionnaire de domaine, si on créait un domaine ensemble ?” Et c’est comme ça que tout a commencé.
MVL : Et pourquoi avoir choisi de t’installer à Jasnières ?
SC : Dès le début, on cherchait dans la Loire. Jasnières est venu à nous mais ce n’était pas une quête absolue au départ. Les critères de base étaient : chenin, Loire, sec.
MVL : Pourquoi chenin ?
SC : Parce que pour moi c’est le roi des cépages de la Loire, n’en déplaise au sauvignon… (rires). C’est vraiment un révélateur de terroir et on peut faire des vins ciselés, précis. L’acidité est toujours là, et même quand il y a du sucre on arrive à l’oublier parce que l’acidité vient contrebalancer tout ça… Enfin, je trouve que c’est un magnifique cépage. J’aime aussi beaucoup le Riesling, mais je voulais absolument m’installer dans la Loire… Avec ce critère principal de faire des vins secs.
MVL : Et finalement, ça a été Jasnières…
SC : C’est vrai qu’il y avait pas mal d’appellations possibles. Jasnières c’était un peu la petite pépite et on se disait que si on pouvait trouver ici ça serait vraiment top. Et puis les étoiles étaient alignées et finalement ça s’est fait très vite. On a commencé à en parler en janvier 2007, et en novembre j’étais déjà en train de tailler les vignes.
MVL : Ça fait donc 15 ans que tu es installé. Comment as-tu évolué depuis tes débuts ? J’imagine que tu as dû énormément apprendre et modifier ta façon de travailler ?
SC : C’est vrai qu’il y a eu du stress pendant ces 15 ans. Maintenant je suis beaucoup plus apaisé, je prends du recul sur les choses. Au début tu veux tout bien faire, tu veux que ça aille vite. Et puis on avait vraiment un objectif qualitatif et de valorisation, donc ça demande énormément de boulot et quand même pas mal de stress… Avec les aléas climatiques par-dessus, il y a eu des années compliquées. Maintenant, je suis posé, et ça va bien (rires).
MVL : On dit souvent qu’il faut au moins dix ans pour bien connaître son domaine, qu’en penses-tu ?
SC : Oui, je dirais même qu’il faut six ans à la vigne pour qu’elle comprenne et qu’elle te donne ce que tu attends d’elle, et toi il faut au moins dix ans effectivement pour tout comprendre. Et puis même, en terme de développement du domaine, en terme d’argent, il y a bien dix ans de galère en gros, avant d’en récolter les fruits.
MVL : Un message d’espoir pour les jeunes vignerons qui veulent s’installer ! (rires)
SC : Oui, c’est ça, c’est ce que je leur dit… (rires). En fait, c’est un métier de longue haleine qui demande de la patience, de l’implication. On veut souvent aller vite mais ça ne va pas aussi vite qu’on veut… Donc il faut trouver le bon équilibre entre tout ça. C’est pour ça que j’essaie d’être là quand ils doutent et qu’ils se posent beaucoup de questions, pour les rebooster et les rassurer, leur faire part de mon expérience. Pour moi c’est super important parce que c’est quelque chose que je n’ai pas eu à l’époque.
MVL : Et avec le recul, cela t’a manqué ?
SC : Oui. J’étais un peu tout seul, j’arrivais dans le coin sans connaître grand monde. J’aurais aimé pouvoir échanger, être soutenu. Maintenant il y a beaucoup plus de partage et de collaboration. Transmettre, être à l’écoute, ça c’est vraiment important et c’est quelque chose qui me plait. C’est dans cette optique que l’équipe du domaine s’agrandit. Baptiste me seconde dans les travaux de la vigne et Janne m’aide au domaine, notamment à développer le côté événementiel et la communication.
MVL : Aujourd’hui, comment se compose le domaine, en terme de localisation, de superficie et de cépage ?
SC : Le domaine compte actuellement 6 hectares de vignes avec peut-être à terme la volonté de monter à 7 ou 8 hectares. Mais pas plus, pour rester un “petit domaine”. Les vignes se situent sur deux appellations : une moitié sur l’appellation “reine” Jasnières pour les blancs de chenin, et l’autre sur l’appellation Coteaux-du-Loir, plus vaste, qui permet de faire des rouges en pineau d’Aunis et des blancs de chenin.
MVL : Peux-tu nous parler de ta façon de travailler la vigne, de ta vision du métier ?
SC : Déjà, je travaille mes vignes en bio, même si je ne le dis pas toujours, car pour moi c’est une évidence et je ne me verrais pas faire autrement. Après, j’essaie d’aller au-delà, avec une approche globale, le côté céleste et astrologique de la biodynamie et aussi le côté biodiversité dans les vignes et autour des vignes pour rechercher un équilibre d’ensemble. Pour moi la vigne fait partie d’un tout et elle doit s’inscrire dans ce tout avec des échanges entre les deux. Donc c’est une vision assez globale qui finalement est celle d’une agriculture qui a été oubliée pendant de nombreuses années avec le développement de la chimie où l’on voyait tout ce qui poussait dans les vignes ou autour comme des ennemis de la culture. Moi j’essaie plutôt de les voir comme des amis et de faire en sorte de travailler en bonne intelligence avec tous ces éléments, et surtout, depuis quelques années, avec l’environnement climatique.
MVL : C’est-à-dire ?
SC : Ce que je veux dire c’est que quand je vois des vignerons qui se lamentent sur les réseaux sociaux en disant : “Ah, on a gelé, ah, on va mettre des bougies, des éoliennes”, pour moi, ça c’est déjà une preuve d’échec. Il faut plutôt s’adapter, comprendre comment on peut être moins vulnérable. Si ça se passe mal et que c’est une saison où l’on ne peut rien faire, alors tant pis, c’est la nature. Mais il y a des moments où l’on peut faire en sorte, par des techniques culturales, d’éviter le gel. Je suis plutôt partisan de cette option plutôt que d’aller lutter contre les éléments.
MVL : Tu nous a parlé des vignes, comment appréhendes-tu les vinifications ?
SC : Déjà, tout le raisin est récolté à la main, blanc comme rouge, avec un tri à la vigne en caissettes. Ce que je veux c’est que toutes les vendangeuses et les vendangeurs qui viennent ici soient vraiment impliqués dans le processus. Cela évite de refaire un nouveau tri à la cave.
Ensuite, pour les blancs, on sélectionne le raisin que l’on presse assez longuement en grappes entières, dans un pressoir pneumatique. Ça permet d’extraire des jus très aromatiques, fins et clairs, avec juste ce qu’il faut d’amertume, qu’on peut ensuite entonner sans faire de débourbage. Les fermentations se font alors le plus naturellement possible avec les levures indigènes sans aucun autre ajout. Je ne m’interdis cependant pas un peu de soufre les mauvaises années, pour assainir un peu le milieu et avoir des bonnes levures qui fermentent. Pour les Jasnières, les fermentations se font pendant un an en barrique, dans ma cave troglodyte, sans aucune intervention et dans l’idée de faire des vins secs. Juste avant les vendanges, les jus sont assemblés et mis en masse afin de les harmoniser. On met alors en bouteille la cuvée “domaine”. Le “Clos Molière”, est laissé en masse ou remis en barrique encore au moins six mois avant d’envisager une mise en bouteille.
Pour les Coteaux-du-loir, l’élevage est le même mais est fait en cuve. On fait un soutirage avant les vendanges et le vin reste environ un mois au clair avant la mise en bouteille.
MVL : Et pour les rouges ?
SC : Pour les rouges, c’est différent. Je m’adapte vraiment au millésime. Je privilégie la fermentation en grappes entières et en semi-carbonique avec très peu d’interventions sur la cuve. Les années plus compliquées, j’opte plutôt pour un mille-feuilles, c’est-à-dire que j’alterne les couches de grappes entières et de grappes éraflées. Je monte progressivement en strates dans la cuve. Dans les deux ou trois premiers jours, on intervient un peu, on homogénéise. Souvent, on fait un levain avec du raisin récolté avant, afin de faire un pied de cuve et booster un peu les levures au début de la fermentation qui se fait sans soufre. Après on bouche la cuve qui reste deux à trois semaines sans aucune intervention pour ne pas extraire trop de matière et que ça fermente vraiment à l’intérieur du grain. Ensuite les grappes sont pressées, le jus part en barrique pour faire sa “malo” (NDLR : fermentation malolactique) et l’élevage dure un an. Puis, comme pour les blancs, assemblage en masse, homogénéisation puis mise en bouteille sans filtrage et la plupart du temps sans soufre.
MVL : Cela représente combien de cuvées dans ta gamme de vins ?
SC : (Rires) Ah ! Beaucoup pour un petit domaine. Disons que pour la gamme classique il y en a cinq : deux rouges et trois blancs. Mais comme j’adore créer, m’adapter à l’année et aussi créer la surprise auprès des clients et de moi-même, je fais aussi des petites cuvées.
Par exemple, chaque année je fais une cuvée que j’appelle “l’Unique” et dont je sors entre 300 et 600 bouteilles. Chaque fin d’année c’est l’occasion de faire la fête à la cave, et les clients ne savent pas si ils auront affaire à un blanc ou un rouge, un vin sec ou sucré, pourquoi pas un vin orange… C’est la surprise. Comme je m’adapte également aux conditions climatiques, cette année, n’ayant pas pu faire la cuvée “La Belle d’Aunis”, j’ai sorti une bulle en pineau d’Aunis : “La Belle en bulle”.
De retour à la cave, un petit tour des lieux nous a permis de croiser une des experimentations en cours : du vin blanc dans lequel infusent des plantes aromatiques. Une curiosité qui fera peut-être l’objet d’une prochaine cuvée éphémère ?
Au cœur de la galerie de tuffeau, la dégustation sur fût nous a permis de goûter les millésimes en cours d’élevage. Il fut également très intéressant de comparer les jus d’une même parcelle, isolés en fonction de leur position sur le terrain : haut, milieu ou bas de pente. Les différences subtiles mais notables de matière ou encore d’amertume permettront alors à Sébastien, au moment de l’assemblage final, de façonner le profil du vin afin de lui apporter l’équilibre, la finesse et la fluidité recherchés. Il ne reste plus qu’à s’armer de patience avant de pouvoir profiter de ces jolis vins de terroir, témoins vivants de l’harmonie qui peut exister entre la nature et l’homme.
Corentin Imbert
Jamais à cours de projets, Sébastien Cornille tend à développer l’aspect œno-tourisme en organisant par exemple des visites de vignes, des dégustations, et dès le printemps, des animations gastronomiques au domaine : Un samedi, un chef. L’occasion, un samedi sur deux, d’inviter un chef-restaurateur de la région à venir cuisiner un repas à la cave, tandis que Sébastien s’occupe d’accorder les vins avec les mets proposés aux participants.
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