C’est par une belle journée ensoleillée de juin que nous nous sommes rendus au domaine Yannick Amirault, à Bourgueil (37), sur la rive droite de la Loire. Nous avons pu rencontrer Benoît Amirault, jeune vigneron à la tête des 19 hectares de vignes du domaine, conduites en agriculture biologique. Il y produit un dizaine de crus 100% cabernet franc répartis sur les villages de Bourgueil (cuvées Cote 50, Les Quartiers, Le Grand Clos, Pavillon du Grand Clos, Rosé d’Équinoxe) et Saint-Nicolas-de-Bourgueil (La Source, La Mine, Les Malgagnes). Une cuvée en chenin blanc, Bâtard-Princesse, issue d’une vigne replantée en 2017 sur le coteau mythique du « Grand Clos », vient depuis peu compléter la gamme.
Après une découverte des vignes du Grand Clos en fin de matinée (où nous avons d’ailleurs croisé les parents du vigneron qui profitaient de la relative fraîcheur de la mâtinée pour travailler dans les vignes), une pause casse-croûte avec Benoît et un membre de son équipe fut l’occasion de partager et d’échanger sur le vin et sur sa vision du métier. La visite des caves et du chai, suivie d’une dégustation des cuvées du domaine a ponctué cette journée, aussi agréable qu’enrichissante.
Le Magazine des Vins de Loire : Peux-tu nous parler des origines du domaine ?
Benoît Amirault : Le domaine date de 1936, de mon arrière-grand-père. Donc je suis la quatrième génération. Mon père s’est installé avec les vignes de son papa, avec seulement 4 hectares. Du coup, lui et mon grand-père, c’était chacun ses vignes, chacun ses cuves. Quand mon grand-père est parti à la retraite, mon père a récupéré ses vignes. Il s’est donc agrandi, il est passé à une quinzaine d’hectares. Et il avait aussi repris d’autres vignes, dont le Grand Clos, à des vignerons qui étaient partis à la retraite. Donc on a 19 hectares depuis plus de 15 ans.
MVL : Et toi, quel est ton parcours ? Quand as-tu commencé ?
BA : J’ai fait un parcours très technique : après le collège j’ai fait un BEP, puis un BAC pro à Montreuil-Bellay. Et comme je n’avais pas envie de bosser tout de suite, j’ai fait un BTS Viticulture-œnologie à Fondettes, où il n’y a d’ailleurs plus de vignes, du coup on allait au centre de formation de Chinon. C’était très enrichissant le BAC pro à Montreuil-Bellay. Le BTS c’était autre chose, mais c’était intéressant de le faire.
Après mes études, j’ai travaillé dans un domaine juste à côté, puis je me suis installé en 2003, j’avais 22 ans. J’ai d’abord été salarié de 2003 à 2008, année où je me suis associé. Je suis maintenant cogérant depuis 2018.
MVL : Parle-nous des sols sur le domaine
BA : Où qu’on soit à Bourgueil, on est toujours sur le support calcaire. Parfois il est à 7 mètres donc assez loin. Sur le pied du coteau, il est affleurant, donc c’est 50 cm, voire même moins, mais avec toujours beaucoup de sable.
Et plus on va vers l’est de l’appellation, plus c’est argileux. Nous on reste sur des terroirs et des sols assez légers. Et c’est vrai que plus on va sur Benais, Restigné ou Coteau-sur-Loire, plus c’est argileux, ça fait des vins toujours un peu plus puissants.
MVL : Entre Bourgueil et Saint-Nicolas-de-Bourgueil, ce sont les mêmes types de sols ?
BA : Oui, si on est au même niveau par rapport à la Loire, ça doit être quasiment le même type de sol. La grosse différence c’est qu’il y a un gros plateau de graves à Saint-Nicolas, mais il y a aussi du calcaire dès qu’on est au pied du coteau, avec beaucoup de sables éoliens, enfin beaucoup de sable sur la terrasse, mais c’est assez proche par rapport à ici. La proportion de coteaux est peut-être moins importante à Saint-Nicolas.
MVL : Comment est travaillée la vigne au domaine ?
BA : Je veux le plus beau raisin possible pour faire le plus beau vin possible. Et je pars du principe que plus le raisin est beau, meilleur sera le vin. En fait, c’est mon objectif numéro 1 quand je fais du vin, c’est de faire du vin fruité. L’acidité, normalement, on l’a naturellement, on est le jardin de la France, la Loire. Normalement, on a toujours un climat qui est très conciliant, très mesuré. On n’est jamais trop dans l’excès. Alors bien sûr, des millésimes un peu plus chauds, ça va se ressentir un petit peu. Mais il y aura toujours une tempérance. On a toujours un climat qui normalement est assez conciliant. Et ça se ressent dans les vins.
Je pense vraiment que s’il y a un regain d’intérêt pour nos vins, c’est parce que justement sur des millésimes très solaires, on va intéresser les gens. Sur des millésimes un peu plus froids, on peut être plus critique avec les vins de Loire. Parce que ça resserre un peu les vins, ça fait plus d’acidité. Alors tant mieux parce que c’est à la mode, c’est recherché les vins un peu plus frais. Moi, ce n’est pas ce que je recherche.
Quand les gens goûtent du vin, ils veulent du fruit, ils ne veulent pas d’une perception végétale et surtout pas d’une perception rustique. Donc pour ça, il faut ramasser du raisin mur. Et jamais, quand les gens goûtent nos vin, ils disent « Ah c’est trop lourd, ah c’est trop alcooleux ». Alors on leur dit pas toujours, des fois ça fait 13,5° voir 14° sur certains 2022. Mais les gens n’ont pas cette perception sur nos vins parce que naturellement, il y a de la fraîcheur, il y a un équilibre.
MVL : Depuis combien de temps le domaine est-il certifié en bio ?
BA : Officiellement depuis 2009, officieusement depuis 2000, où on a arrêté les désherbants. Quand il y en a eu d’utilisés avant, c’était avec le pulvérisateur manuel, pour faire des liserons sur tâches, c’était vraiment anecdotique. Pareil pour les produits phytosanitaires, et les produits systémiques, produits de synthèses ou les produits pénétrants, ça c’est des choses que je n’ai pas connues sur le domaine.
Je n’ai pas connu le conflit de génération entre mon père et son papa, où il y a eu une vraie révolution de l’agriculture et des idées parfois opposées entre générations. Au contraire, mon père était un peu précurseur pour pas mal de choses. Je suis donc arrivé avec ce confort-là, où j’avais un peu comme modèle, comme mentor, mon papa, vu que lui avait subi le choc des cultures sur le travail de la vigne et du vin. Moi, je suis arrivé à apprendre mon petit truc. Et ce que j’ai gagné surtout, c’est une sensibilité à connaître les parcelles. Plus on arrive tôt dans quelque chose, plus il y a des choses qui sont palpables, mais qui mettent beaucoup de temps à être assimilées.
MVL : Par rapport au réchauffement du climat, tes méthodes de travail ont-elles évolué ?
BA : Nous, ici, on a des vignes qui ne souffrent pas de la sécheresse, qui ne souffrent pas des excès du climat. Donc je ne me sens pas en première ligne, je ne suis pas trop inquiet. Ce qui m’inquiète plus c’est quand le climat est dans les excès par rapport au gel, la grêle, les gros orages ou les fortes pluies… Mais non, nos vignes ne peinent pas.
On a quand même changé quelques pratiques : mon père était le premier à enherber les vignes sur le Bourgueillois. Avant, on avait tendance à laisser les enherbements permanents. Maintenant on tend plutôt à les détruire pour restituer un peu de matière organique afin qu’elle devienne accessible pour la vigne, et à renouveler cet enherbement avec des semis sélectionnés. Le but c’est de coloniser le milieu pour éviter d’avoir des développements de choses qu’on ne veut pas comme le chiendent, qui peut avoir un effet très colonisateur en période de sécheresse, devenir très concurrentiel pour la vigne et la faire souffrir. C’est vrai que le fait de semer par exemple du trèfle, de la phacélie ou de l’avoine, d’avoir un couvert végétal assez dense, ça empêche un peu le développement de choses qu’on ne veut pas trop.
MVL : Comment s’organisent les vendanges ?
BA : Pour le rouge, on cherche à avoir la plus grande homogénéité possible. Aux mois d’août et septembre, on passe dans toutes les vignes pour enlever toutes les grappes qui pourraient être en décalage, avoir un petit blocage, être restées un petit peu roses. Normalement, il y a peu de pourri sur le rouge. Quand ça commence à pourrir, c’est qu’il est grand temps de vendanger. Pour la vendange du blanc, c’est souvent plus hétérogène. On considère même des fois qu’il faut quelques grains qui commencent un petit peu à se dégrader.
Sur le rouge, au contraire, c’est plutôt homogène. Quand le raisin commence à s’abîmer, ça veut dire que presque tout s’abîme. Donc c’est vrai qu’il y a très peu de tri. On tire au fur et à mesure les grappes qui descendent depuis le bac de la remorque.
Il y a toujours évidemment quelques grappes qui ne vont pas. On les met dans des seaux, c’est vraiment pas grand chose.
Ensuite ça passe dans l’égrainoir. Ici, il n’y a pas une cellule photo pour détecter tous les grains qui ne vont pas avec un tri optique. Non, là c’est un truc très mécanique, très basique. Par contre, qui est assez précis. Le but, c’est qu’il n’y ait pas de bouts verts qui aillent dans la cuve. Déjà, on vendange tout le domaine à la main, donc normalement, des bouts de feuilles, des bouts de pétioles, il n’y en a pas… Mais même s’il y a des petits bouts de rafles, des graines avortées, des tout petit grains secs, avec ce matériel là, ça les enlève, pour qu’ils ne finissent pas dans la cuve et pour vraiment ne travailler que sur le fruit. Ça marche plutôt bien… et c’est Made in France.
MVL : Et les vinifications ?
BA : La plupart des fermentations se font en cuve en bois. Les vins plus légers, comme la Côte 50 ou la Source, qui sont des vins de sable, vont plutôt fermenter dans les cuves en inox et ensuite se retrouver pendant 8, 10 mois en cuve en bois. Pour les belles cuvées, ça va aller directement en tonneau, en amphore et en petite cuve en bois.
Pour les rouges, on vendange, on égraine et on met toutes les billes directement à fermenter dans les cuves. Le raisin va libérer son jus et on laisse macérer tout ça. À l’issue de 2, 3, 4 ou 5 semaines, on écoule la cuve. On presse alors les grains restants qui contiennent toujours un peu de jus. Généralement, on ne l’assemble pas au jus de goutte, c’est un vin qui est vendu à un grossiste.
Ceci dit, ces dernières années, avec les belles maturités qu’on a eues, parfois, le vin de presse était presque meilleur que le jus de goutte.
Mais généralement, on le met à part. Donc, aucun intérêt d’avoir un super pressoir sauf pour faire du rosé. Ici, on fait du rosé de presse et non pas de macération. Donc, on a des super pressoirs pour ça, pour notre rosé de pressurage.
MVL : C’est la fameuse cuvée Rosé d’Équinoxe. C’est vrai que ça ressemble pas à un rosé classique. C’est assez rond…
BA : Oui, c’est assez rond parce qu’en plus, on fait la malolactique*. La malo, qui se fait toujours sur les rouges, nous, on la fait aussi sur le rosé. C’est quelque chose qui est rarement recherché sur le rosé parce qu’on cherche un truc un peu “punchy”, avec un peu de “peps”. Moi, j’aimais pas le rosé que faisaient mon papa ou mon grand-père parce que c’était des rosés un petit peu rustiques, un peu acides. Je n’aimais pas ça. J’aime quand il y a un peu de forme, un peu de rondeur. Et pour le coup, la malolactique, ramène de la dimension au vin et ça fait baisser naturellement l’acidité. Et le fait de travailler sans soufre sur la vendange fait que la « malo » va s’engager toute seule. Si on met un petit peu de soufre sur la vendange, les bactéries y sont tellement sensibles au qu’il n’y a peu de chances qu’elle se fasse.
Mais c’est vrai que pour nous, c’est un plus qu’elles soit faite. Ça rend les vins plus digestes. Des fois, il reste aussi un petit peu de perlant, un petit peu de gaz. Ça aussi ça ramène un petit côté “peps”…
MVL : Au niveau de l’élevage des vins, comment travailles-tu ?
BA : On n’a pas trop envie de faire des élevages basiques ou des vins qui seraient un peu négligés. Ce qui fait que même pour les vins les plus simples, parfois on utilise des jarres en grès ou des tonneaux. C’est plus au feeling… par exemple pour des vins qui n’ont pas forcément une grosse ossature tannique, on va choisir des formats assez gros pour avoir un travail sur les tannins très délicats. Et pour des vins qui sont très ouverts, très fruités, ça permet de respecter ça. Du coup, c’est vrai que ça va être travaillé plutôt dans les gros foudres en bois, plutôt que dans des tonneaux. Et puis on a les amphores aussi, c’est intéressant.
MVL : Qu’est-ce qu’amène l’amphore par rapport aux autres contenants ?
BA : Ça n’amène rien, et c’est ça le but. L’idée, c’est vraiment de garder le fruit au maximum.
Par contre c’est très à la mode mais c’est impitoyable par rapport au vin… ça peut faire ressortir ce qui ne nous plaît pas dans le vin parce que ça ne le sucre pas, ça ne le toaste pas, ça ne l’arômatise pas, c’est très neutre. Et pour le coup, un millésime qui est un petit peu vif, qui pourrait être un peu sur le végétal, ça va renforcer ce caractère-là. En revanche, sur un millésime plutôt typé solaire, ça va garder un peu de fraîcheur, ça va garder surtout le fruit et pour ça, c’est super intéressant.
On travaille avec des 600 litres. Quand on s’est intéressés aux amphores, c’était quasiment le plus gros format qui existait pour avoir une porosité faible, et donc une prise d’oxygène faible. Parce que déjà, on travaille sans sulfite sur la vendange. Dans la vie du vin, on va mettre deux fois du soufre… certains vins sont natures chez nous. C’est vrai qu’on travaille très très bas en soufre, on est très délicats sur la prise d’oxygène. On a donc besoin de contenants assez hermétiques, assez gros. En plus, ces contenants sont assez épais, ce qui favorise une prise d’oxygène très mesurée. Naturellement, on va chercher de très belles maturités qui font qu’on n’a pas un vin qui réduit, qui est en manque d’oxygène. On peut donc travailler sur ce style de contenants assez gros. Le but, c’est toujours d’avoir le fruit au maximum.
Le gros avantage des amphores, contrairement aux tonneaux, c’est l’entretien. Un tonneau il faut qu’il soit plein tout le temps. À partir du moment où on a mis du vin dedans, une fois vide il sèche, il moisit ou il pique, il vinaigre. L’amphore, on peut la laisser vide pendant des mois, des années même si on voulait. Et puis, autre avantage aussi, à partir du moment où on les casse pas, il n’y a pas d’abrasion quand on les lave, donc elles sont nickel à l’intérieur, même après 10 ans d’usage.
Les tonneaux, on a un roulement tous les ans, les amphores, c’est génial : on en achète quelques-unes et on les garde. Finalement, même si c’est très cher à l’achat, c’est plutôt économique.
Merci encore à Benoît Amirault pour son accueil.
*Fermentation malolactique : transformation de l’acide malique en acide lactique